Si les termes « agriculture urbaine » relèvent aujourd’hui plus de la figure de style que du monde réel, les villes ont longtemps maîtrisé leurs ressources alimentaires. Selon le géographe de l’alimentation Gilles Fumey, Paris était autosuffisant alimentairement en 1800. Aujourd’hui, après de longues années de spécialisation territoriale des activités, une véritable prise de conscience citoyenne et entrepreneuriale tend à émerger.
En 2016, Rennes s’est lancée dans un ambitieux programme d’autonomie alimentaire, marchant sur les traces d’Albi, première ville française à s’être fixée, en 2014, l’objectif d’atteindre l’autosuffisance alimentaire à l’horizon 2020. En 2017, c’était au tour de la Métropole de Bordeaux de se doter officiellement d’un « Conseil consultatif de gouvernance alimentaire durable ». Beaucoup d’autres, à commencer par Lyon et Paris, commencent à s’y intéresser.
Pourquoi viser l’autonomie alimentaire ?
Plusieurs chiffres expliquent cette prise de conscience. En moyenne, une denrée alimentaire parcourt 3 000 km avant d’être consommée. L’alimentation, qui représente un quart de l’empreinte carbone des Français selon l’Ademe, est donc un enjeu majeur de la transition écologique du pays.
Cette situation trouve moins son origine dans un manque de production locale que dans l’organisation des échanges : d’après une étude d’UTOPIES, 98% de notre alimentation est composée de produits agricoles importés alors que dans le même temps 97% des produits agricoles locaux sont exportés. A titre d’exemple, en Nouvelle Aquitaine, seuls 5 % de la production alimentaire de la zone agricole du Marmandais part en direction de Bordeaux Métropole. En outre, 80 % de cette part passe d’abord par le marché de Rungis, en Ile-de-France, avant de revenir à Bordeaux.
L’autosuffisance alimentaire : un horizon plutôt qu’un objectif réaliste
Si l’on ne peut qu’appeler de nos vœux une plus grande place laissée à l’agriculture en ville, il convient cependant de relativiser l’objectif « d’autosuffisance » alimentaire. Même à Albi, qui n’abrite que 50 000 habitants, le foncier est le nerf de la guerre. « Pour nourrir toute la population en bio, il faudrait 600 hectares de maraîchage alors que, sur tout le département, on compte moins de 300 hectares », selon le conseiller municipal EELV Pascal PRAGNERE.
De l’autonomie alimentaire à l’agriculture urbaine
On aurait pour autant tort d’abandonner cet objectif, tant les avantages se multiplient et dépassent très largement le cadre de l’empreinte carbone. L’agriculture urbaine, qui peut être pratiquée sur des toits, dans des cours, des potagers partagés et même dans des espaces publics, mérite en effet d’être encouragée. Les entreprises en ont conscience et mènent aujourd’hui une véritable stratégie d’influence et de lobbying territorial visant à valoriser ce mode de culture. Selon un récent avis du Conseil économique social et environnemental (CESE), l’agriculture urbaine répondrait en partie à de multiples problématiques auxquelles sont aujourd’hui confrontées les villes : création de lien social ; régulation des températures ; gestion des déchets ; biodiversité en ville ; désartificialisation des sols ; protection de l’eau ; régulation du CO²… L’agriculture urbaine offre en outre la possibilité de sensibiliser les urbains aux problématiques du monde agricole, de contribuer à conserver la population dans les territoires, et d’offrir des opportunités d’insertion professionnelle aux personnes éloignées de l’emploi.
Agriculture high ou low tech ?
Les nouvelles technologies viennent souvent en aide aux projets d’agriculture urbaine : les serres urbaines deviennent des lieux d’expérimentation des techniques d’hydroponie ou d’« agriculture numérique », et les énergies renouvelables leur assurent une partie d’autonomie énergétique. On peut notamment citer l’exemple de la Ferme Urbaine Lyonnaise, ferme urbaine verticale technologique indoor à haut rendement et efficience énergétique. D’autres projets s’articulent davantage autour du lien social, en se concentrant par exemple sur la prestation de service : les Bergers urbains proposent par exemple aux collectivités de laisser brebis et moutons entretenir leurs espaces verts en pâturant.
Quels leviers pour l’agriculture urbaine ?
Un des premiers outils mobilisables pour encourager une agriculture plus locale est la commande publique, notamment pour la restauration collective. D’où la nécessité pour les porteurs de projets issus du monde privé de participer à une démarche d’affaires publiques auprès des interlocuteurs idoines dans les territoires. A titre d’exemple, le SIVU Bordeaux-Mérignac sert à lui seul plus de 2 millions de repas par an dont 30 % d’approvisionnement local. Des aides publiques locales à l’installation et la conversion peuvent également être envisagées. Pour autant, une réflexion de fond semble nécessaire. Dans son récent avis, mentionné plus haut, le CESE met l’accent sur plusieurs leviers, notamment : la généralisation des Projets alimentaires territoriaux ; une réforme du droit foncier et des règles d’urbanisme ; les partenariats publics-privés entre les porteurs de projets et les collectivités ; ou encore des mesures fiscales en faveur des projets d’agriculture urbaine.
Si l’agriculture urbaine ne détient pas à elle-seule les clés pour résoudre les problématiques qui touchent aujourd’hui nos villes, elle tient une place de choix parmi les différentes pistes offrant de les rendre plus résilientes. Des villes plus durables, et même plus attractives : selon une étude Unep/Ifop de 2016, pour plus de 8 Français sur 10, la proximité d’un espace vert est un critère important dans le choix de son habitation. L’agriculture, une clé de la revitalisation des petites et moyennes villes ?