Président du MEDEF de l’Est Parisien (Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) et porte-parole du MEDEF national, Bastien Brunis nous a fait l’honneur de répondre à nos questions pour nous aider à décrypter le versant économique et social des Jeux de Paris sur le territoire francilien. Très impliqué sur les questions de développement économique et d’inclusion sociale en Seine-Saint-Denis, il rappelle que si les infrastructures (numérique, transport, entre autres) se développent, c’est avant tout dans une démarche de rattrapage par rapport au reste de la région. A ce titre, bien que le département ait bénéficié d’investissements conséquents qu’il aurait été plus difficile d’obtenir sans les JOP, le plus important concerne d’après lui la dimension « héritage » des Jeux.
Les Jeux olympiques et paralympiques sont une immense opportunité pour la Seine-Saint-Denis. On parle beaucoup des dynamiques positives pour les populations locales et le tissu économique. Pour les entreprises, comment se manifestent concrètement ces bénéfices ? Est-ce que les sponsors mondiaux des JOP et autres gros sponsors ont mené des actions significatives envers le développement économique du territoire ?
Les retombées économiques locales sont réelles même si on aimerait qu’il y en ait plus. Les esprits chagrins diront qu’il y a évidemment des commentaires à faire sur la gestion mais l’important est que les entreprises du territoire ont participé à l’organisation de cet évènement : village olympique, piscine etc.
Côté COJO, cela a été plus difficile même si des entreprises locales ont remporté de beaux contrats sur la sécurité ou le nettoyage par exemple. Néanmoins, nous ne pouvons pas parler non plus de « boom économique » grâce aux Jeux olympiques dans la mesure où la Seine-Saint-Denis était déjà un territoire dynamique.
En réalité, la dimension la plus importante avec l’organisation de ces Jeux est le versant « héritage ». Le département a bénéficié d’investissements – notamment dans les réseaux – qu’il aurait été plus difficile d’obtenir sans les JO. Je pense entre autres au déploiement de la fibre, mais aussi au Grand Paris Express avec la récente sortie de terre de la station de métro Saint-Denis Pleyel, ou encore la construction de la passerelle au-dessus de l’autoroute A1. Plusieurs milliers de logements ont également été construits, sans compter la transformation du village olympique.
Enfin, comment ne pas évoquer les travaux d’assainissement dans l’est du département ? Au total ce sont 100 000 habitants qui sont désormais raccordés au réseau d’assainissement.
Concernant les sponsors qui sont adhérents au MEDEF de l’Est Parisien, force est de constater qu’ils sont très mobilisés pour faire participer le maximum de parties prenantes du territoire (Orange, Loxam, Randstad etc.). Malheureusement, quelques éléments viennent perturber ces annonces : l’actualité politique d’abord, qui a relégué au second plan en termes de communication les débuts prochains des JO, et la chute d’activités de près de 15 % dans le contexte économique actuel tendu, qui implique une forme d’inquiétude quant à la ferveur locale autour de ces Jeux.
En tant que président du MEDEF de l’Est-Parisien (93 I 94), vois-tu un changement dans le rapport des investisseurs avec la Seine-Saint-Denis ? Peut-on déjà parler d’un « effet JO » en termes d’attractivité ?
Il n’y a pas vraiment d’ « effet JO » pour la simple et bonne raison que la Seine-Saint-Denis dispose déjà d’un potentiel d’attractivité très élevé. Les infrastructures se développent, c’est une évidence, mais il s’agit davantage d’un effet de rattrapage et de modernisation. Aujourd’hui, le problème que l’on rencontre concerne nos capacités d’accueil des entreprises. Un problème qui existait déjà avant les Jeux et qui va nécessairement se renforcer, à la lumière notamment du développement du Grand Paris Express.
Le nord et l’est de Paris ont toujours été des territoires populaires. Le dynamisme économique, la construction de nouveaux logements, de nouvelles infrastructures, peuvent conduire à une gentrification accélérée comme ce fût le cas pour le quartier de Stratford consécutivement aux JO de Londres en 2012. Comment en tant que chef d’entreprise très impliqué sur les questions d’inclusion sociale tu appréhendes cet enjeu ?
Le mouvement de gentrification est réel (certains parlent plutôt de « mise à niveau ») mais il faut rappeler que le fait d’imaginer la Seine-Saint-Denis comme un « ghetto géant » relève d’un regard biaisé au regard du dynamisme du territoire et du nombre de zones résidentielles. Une ville comme Saint-Ouen par exemple s’est largement gentrifiée ces dernières années avec l’arrivée de la ligne 14 qui connecte ses habitants directement au centre de Paris en moins de 15 minutes.
Cette question de la connectivité des réseaux de transport est essentielle – au même titre que la carte scolaire – car ce sont les lignes de métro qui accélèrent la gentrification (la ligne 11 va jusqu’à Rosny-sous-Bois, les lignes 16 et 16 bis vont traverser Bondy etc.). On va ainsi nécessairement assister à un désenclavement de quartiers comme à Clichy-sous-Bois, Sevran, ou Montfermeil, d’autant que les gens qui habiteront sur les gares du RER B seront mieux connectés. Il va par ailleurs y avoir des effets de bord liés à l’arrivée du nouveau métro et à la transformation attendue de la typologie des populations vivant à proximité des gares, ce qui sera moins le cas pour les zones davantage reculées en banlieue. Le risque ici est d’avoir des îlots au sein même de ces villes de proche banlieue avec des écoles Montessori, des bars branchés etc., et 100 mètres plus loin des quartiers fortement défavorisés.
Enfin, à 10,4 %, le taux de chômage de Seine-Saint-Denis se situe 3 points au-dessus de la moyenne nationale. Comment les entreprises peuvent prendre leur part dans la lutte contre la pauvreté et la précarité dans le cadre de l’héritage des Jeux ?
Il faut déjà rappeler qu’en Seine-Saint-Denis, plus d’un jeune sur 2 a le BAC où un niveau supérieur. Au MEDEF, nous accordons une importance fondamentale à la formation d’autant que le département ne compte aucune grande école. Il n’y a par exemple pas d’école autour des métiers du digital alors qu’il s’agit du département le plus jeune de France métropolitaine. On encourage ainsi les entreprises à davantage investir sur le territoire et à développer les relations école-entreprise à tous les niveaux. Enfin, force est de constater que les jeunes ou les personnes éloignées de l’emploi souffrent de problèmes structurels : discrimination à l’embauche, phénomène d’auto-censure etc. Si nous croyons profondément à notre engagement pour passer outre ces freins, ce n’est pas toujours simple de faire bouger les lignes.