Bruno Jeudy : « Veiller à ce que l’impact électoral sur l’organisation de Paris 2024 ait le minimum d’effets »

Journaliste politique incontournable du paysage médiatique national, et depuis août 2023 directeur de La Tribune Dimanche, Bruno Jeudy nous a fait l’honneur de répondre à nos questions pour ce numéro spécial de notre newsletter « Lobby 2024 ». Si celui qui officie également comme éditorialiste sur BFM TV est persuadé que les Jeux se passeront sans accroc et seront un succès, il espère néanmoins que le nouveau gouvernement ne changera pas de dispositif, y compris et surtout en matière de sécurité, à moins de 3 semaines de la cérémonie d’ouverture. Pour lui en effet, « les craintes soulevées par les syndicats de police sont évidemment légitimes au regard du contexte politique actuel ». 

Et tandis que beaucoup de spécialistes s’accordent à dire que Jordan Bardella sera le grand vainqueur politique de cet été, Bruno Jeudy a un autre nom en tête : celui de Tony Estanguet. 

Bonjour Bruno Jeudy. On parle beaucoup de la répercussion politique que Paris 2024 peut avoir mais selon vous qui peut réellement bénéficier de « l’effet JO » en termes de popularité ?

Si les JO se passent bien – et je suis persuadé qu’ils se dérouleront bien -, c’est évidemment la France qui en tirera le meilleur bénéfice. Y compris dans un contexte difficile avec les conflits en Ukraine et à Gaza, la menace terroriste et enfin la situation politique intérieure tendue. Les résultats des élections législatives pèseront. La nouvelle Assemblée nationale se réunira le 18 juillet. Une sorte de « trêve » olympique aurait dû prévaloir, mais ce ne sera sans doute pas le cas du fait de cette dissolution surprise. Si la crise politique devait perdurer pendant les JO, cela aurait des impacts négatifs sur l’image de la France.

En tout cas, les Français ne seront pas tendres avec les politiques qui, par leurs déclarations et leurs choix, affaibliraient l’organisation des Jeux. Plus globalement avec ou sans la crise politique, personne ne peut légitimement s’attribuer le succès de l’organisation de ces Jeux à part Tony Estanguet. Le patron du COJOP aura porté le projet et l’image de Paris 2024 de bout en bout, malgré les vicissitudes politiques et autres tensions diverses et variées. Peu connu du grand public il y a 9 ans, l’ancien champion de kayak aura su esquiver chausse-trapes et pièges. Il s’est forgé l’image d’un homme capable de bâtir des compromis, de transcender les divisions politiques inhérentes à la vie publique française et de générer de la confiance. Rappelons d’ailleurs ici que l’organisation de ces Jeux aura toujours été soutenue par les Français dans les sondages et cela, malgré les tentatives de polémiques allumées par différents mouvements politiques.

Tony Estanguet aura acquis une énorme expérience avec cet évènement. Que fera-t-il après ? Il ne semble pas tenté par une carrière politique. Peut-être aura-t-il l’envie de faire fructifier cette belle expérience au CIO ou dans le privé. Pour le reste, les politiques tireront moins bien leur épingle du jeu. Anne Hidalgo et Emmanuel Macron verront peut être leur image s’améliorer un peu. Ils partent de très bas. Mais ils sont trop clivants pour que ça change grand chose pour eux.

Jordan Bardella a indiqué la semaine passée qu’en cas de victoire du RN et de possible nomination à Matignon, il ne « modifiera pas le dispositif » pour les JO tandis qu’Amélie Oudéa-Castera a rappelé l’exigence d’avoir des « dirigeants politiques préparés, compétents et expérimentés ». Cette impréparation de nos possibles futurs dirigeants dans quelques semaines peut-elle avoir des conséquences sur le bon déroulement de Paris 2024 ?

Il y aura forcément des conséquences. Si l’organisation qui a été mise en place peut se poursuivre à la limite sans les politiques, un nouveau pouvoir peut changer certaines pièces-maîtresses du dispositif sécuritaire, notamment le préfet de police Laurent Nunez, pivot du dispositif. Un nouveau pouvoir qui serait tenté de changer les hommes à des postes clés prendrait un énorme risque.

Pensez-vous que comme Tony Estanguet, « il y a peu de risques d’avoir des perturbations sur l’organisation directe des Jeux » alors que plusieurs syndicats de police évoquent des risques de troubles si le RN remporte ces élections législatives ?

Je serai plus prudent que Tony Estanguet. Des manifestations à travers tout le pays comme cela a été évoqué récemment rendraient les choses très compliquées. Les craintes soulevées par les syndicats de police sont évidemment légitimes au regard du contexte politique actuel. Avec si peu de jours d’écart entre les résultats du second tour des élections législatives et la cérémonie d’ouverture, il s’agit de veiller à ce que l’impact électoral sur cette organisation ait le minimum d’effets. D’autant que l’on sait déjà que le dispositif de sécurité est tendu et compliqué à mettre en œuvre.

Les craintes dépassent le seul cadre national. On voit que les Américains s’inquiètent de la multiplication de manifestations avant et pendant les JO.

Enfin, de façon générale, le monde sportif se mobilise aussi dans le cadre de ces élections législatives. En tant que journaliste politique, comment jugez- vous ces sorties ? Peuvent-elles avoir un impact dans le choix du vote, notamment auprès de la jeunesse ?

Le fait que les sportifs s’expriment est quelque chose de bien normal. Ils restent avant tout des citoyens. D’autres athlètes vont très certainement s’exprimer et cela fait partie du débat politique. Ce n’est pas une première. Les champions s’étaient déjà exprimés en 2002 et lors des élections présidentielles précédentes. Est-ce que cela a de l’influence ? Sans doute, notamment auprès des jeunes des « quartiers » dont sont issus nombre de footballeurs de l’équipe de France. Est-ce que cela a beaucoup d’influence ? Je ne le crois pas trop. C’est difficile à quantifier. Mais c’est plutôt sain que des champions expriment leur point de vue. Quand ils ne chantent pas la Marseillaise, on les critique à juste titre. Quand ils s’expriment, on les critique à tort.