Dans le cadre de sa première newsletter dédiée à Paris 2024, CALIF est allé interroger Guillaume Gouze, consultant au pôle étude économique du CDES de Limoges et co-directeur du diplôme de Stadium Manager. Spécialiste des enjeux en lien avec la transition écologique et énergétique du sport français, il se félicite des avancées conséquentes qui ont été menées ces dernières années, même si comme il le rappelle, « les acteurs sportifs (en France) ont toujours eu des politiques RSE ». Pour les JOP 2024, il espère que cette édition conduira à une modification des consciences et en profite pour lister quelques mesures radicales pour les prochaines olympiades.
Bonjour Guillaume, tu es consultant économique au Centre de droit et d’économie du sport de Limoges et pour A4MT, où tu t’occupes notamment d’accompagner les institutions ou infrastructures sportives vers la neutralité carbone. Peux-tu nous dire où en sont aujourd’hui les principaux acteurs du monde sportif en matière de transition énergétique / écologique ?
Les acteurs sportifs au sens large, qu’ils s’agissent de fédérations, de ligues professionnelles, de clubs ou d’acteurs privés, ont toujours eu des politiques RSE. Ce sont aussi des sociétés d’image, à forte notoriété, et elles sont toujours impliquées dans des actions sociales ou sociétales dans leurs écosystèmes. S’associer à des associations caritatives, offrir des billets à des publics en difficultés, communiquer sur les gestes barrières en temps de COVID, ces acteurs ont fait, font et savent faire.
La transition énergétique ou écologique est l’un des aspects du RSE, le dernier en date adressé par ces acteurs. Comme c’est nouveau, il y a des pionniers, qui montrent la voie. Je pense à la Ligue de Football Professionnel, qui a fortement modifié les critères d’évaluation de ses clubs pour inclure 11% de critères relatifs au RSE, comme la transition énergétique. La LFP a d’ailleurs été récemment récompensé par un prix spécial aux championnats de France des économies d’énergie, organisé par A4MT. Nous pouvons également penser à l’Olympique Lyonnais, peut-être le club le plus green de France (on ne peut pas dire vert pour eux !), ou la société d’exploitation du Paris La Défense Arena, qui mènent des politiques ambitieuses et à 360° sur la sobriété énergétique, l’utilisation d’équipements techniques moins énergivores, la modification des usages pour faire la chasse au gaspillage, la gestion des déchets, la traçabilité locale des produits proposés en buvette, etc…
Le Shift Projet, le Think Tank de Jean-Marc Jancovici qui œuvre pour une société décarbonée, a récemment publié un rapport sur « Décarbonons les grandes manifestations sportives dans les stades ». Ce rapport dresse un premier bilan de l’action, et a bénéficié de la contribution de nombreux acteurs du football et rugby professionnel. La filière s’approprie et s’investit dans cette thématique cruciale, mais des obstacles structurels demeurent : d’une part la part de la mobilité (public qui vient au stade, déplacement en avion des équipes…) reste supérieure à 60 % des bilans carbones dans le sport professionnel en France, et nécessiterait des initiatives ambitieuses pour basculer vers une mobilité plus décarbonée. D’autre part, l’équilibre financier du sport reste précaire, et l’argent de partenaires à l’activité très carboné, les pétroliers par exemple, reste souvent le bienvenu. Pour un Paris 2024 qui refuse le partenariat de Total pour les Jeux Olympiques et Paralympiques, sous la pression de la Mairie de Paris notamment, beaucoup cèdent au sponsoring de cette société, et quelque part à sa stratégie de greenwashing. Sans « loi Evin du RSE », qui interdirait le partenariat d’entreprise « mauvaise » pour le climat et l’environnement, sur le modèle de l’alcool et du tabac pour la santé, l’ambivalence existera encore.
En parlant des JOP de Paris 2024, et en accord avec la recommandation de l’ADEME en matière de communication sur les enjeux climatiques, le COJOP n’utilise plus l’expression de Jeux « neutres en carbone ». Est-ce que cela signifie que l’ambition de diviser de moitié l’empreinte carbone des Jeux par rapport aux éditions précédentes est abandonnée ?
Les deux options peuvent se combiner ! Le Comité d’Organisation, qui qualifie lui-même de « plus grande défi de l’humanité » la sauvegarde du climat, peut réduire ses émissions de moitié par rapport aux précédentes éditions, notamment Rio en 2016 et Londres en 2012. Les dernières estimations vont d’ailleurs en ce sens, puisqu’on parle d’un peu moins de 1,6 millions de tonnes contre 3,5 sur ces précédentes olympiades. Mais les avis des spécialistes divergent, entre autres sur le périmètre des émissions étudiées. Quant à la neutralité carbone, ça reste une vue de l’esprit, d’une part parce qu’en général, une partie des actions repose sur la compensation, dont certaines études que c’est au mieux de l’exagération, ou pire de la mystification. Et surtout parce que sur ces compétitions internationales, la part du transport des athlètes, officiels et spectateurs internationaux, en avion et donc fortement polluant, représente pratique un tiers des émissions, et « plombe » les objectifs de neutralité.
Concrètement, comment cette ambition de réduction des émissions se matérialise sur les principaux sites emblématiques ? Est-ce que le fait que certaines épreuves se déroulent dans des lieux classés monuments historiques (ex : Grand Palais) a eu un impact sur les capacités d’installation d’infrastructures écologiques ?
Les constructions permanentes représentent environ un quart des émissions de CO2 des JOP, car le ciment et l’acier nécessaires sont fortement polluants, et ont un « taux de retour carbone » de plusieurs décennies. Toutefois, à l’exception de quelques sites (Centre aquatique olympique, Adidas Arena), la plupart des sites étaient déjà existant. Limiter les nouvelles constructions, faire avec de les infrastructures déjà construites, utiliser des structures temporaires, comme pour beaucoup de sites de compétitions, c’est une bonne chose.
D’autant plus qu’en phase d’exploitation, le COJOP a pris des mesures fortes sur d’autres leviers : par exemple essayer de supprimer les groupes électrogènes sur les sites, pour imposer des raccordements au réseau électrique (et donc nucléaire majoritairement en France) ou en proposant de la restauration végétarienne aux buvettes, au détriment de burgers avec la viande rouge fortement carboné pour sa production.
Pour finir, quelle serait selon toi la recette idéale pour des JOP écologiquement vertueux ? Est-ce que Paris 2024 pourrait s’inscrire dans cette démarche et à ce titre, apparaître comme un modèle pour les prochaines éditions ?
L’avantage des Jeux Olympiques, c’est qu’ils reviennent tous les quatre ans. L’édition suivante capitalise sur la précédente, pour « cranter » certaines mesures, notamment éco-compatibles. Charge au Comité International Olympique d’être strict sur ces points-là. Sous peine qu’il fasse bientôt trop chaud sur les sites de compétitions, et que les Jeux Olympiques d’été deviennent les Jeux Olympiques d’automne, alors que les Jeux d’hiver seront amenés à disparaitre faute de neige.
Il pourrait y avoir des mesures radicales, par exemples limiter la billetterie uniquement aux spectateurs locaux, pour éviter des voyages en avion aux spectateurs internationaux. Ça reviendrait à dire par exemple que la dernière finale de coupe du Monde de rugby ne se serait déroulée que devant un public majoritairement francilien, sans Néo-Zélandais ou Sud-Africains… à l’exception des joueurs et du staff. C’est acceptable environnementalement, moins économiquement ou socialement.
L’un des avantages du sport, c’est la caisse de résonnance qu’il propose. Les compétitions internationales de sport sont fortement prescriptives dans l’imaginaire collectif. C’est l’un des objectifs que devront avoir les JOP de Paris 2024 : comment modifier le rapport au sport en France ? Comment inciter à la pratique sportive, bonne pour la santé et l’environnement ? Comment réaménager l’espace urbain pour le revitaliser ? Comment passer les messages de sobriété et d’efficacité énergétique ? Comment faire de la « rentabilité environnementale » d’un grand évènement international un critère de réussite, autant que le nombre de médailles ou sa rentabilité économique pour un territoire ? Cette modification des consciences à l’avenir est un élément essentiel de l’héritage des Jeux : le plus important dans Paris 2024, c’est Paris 2025.