Ancien député de la Loire (2007-2022) aujourd’hui expert en politique publique sportive, Régis Juanico vient de publier « Bougeons ! Manifeste pour des modes de vies moins sédentaires« (éditions de l’Aube / Fondation Jean Jaurès), ouvrage dans lequel il pointe la sédentarité de nos activités et ses conséquences sanitaires. Regrettant que le projet de loi « Héritage » ne sera pas examiné avant le début de l’année 2025 au Parlement, il se désole également que l’EPS n’a jamais été considérée comme une matière fondamentale mais comme une variable d’ajustement des emplois du temps et des programmes. Celui qui fut également pendant 6 ans le gardien, capitaine et co-sélectionneur de l’équipe de france des députés, espère enfin que ces olympiades seront un accélérateur des parasports, tant en termes de visibilité médiatique, d’EPS à l’école, et d’accessibilité des clubs sportifs dans tous les territoires.
Bonjour Régis. Tu viens de publier « Bougeons ! Manifeste pour des modes de vie moins sédentaires » (éditions de l’Aube / Fondation Jean Jaurès), ouvrage dans lequel tu pointes la sédentarité de nos activités (milieux scolaire, professionnel etc.) et ses conséquences sanitaires (surpoids et obésité, diminution de l’espérance de vie en bonne santé, entre autres). Es-tu optimiste concernant l’héritage des JOP 2024 pour ce qui est du développement de la pratique d’une activité physique en France ?
Les Jeux Olympiques et Paralympiques sont un événement sportif planétaire grandiose, mais par définition… éphémère. Les enseignements tirés des Jeux de Londres en 2012 montrent qu’il n’y pas eu un effet durable sur la pratique d’activité physique en Grande-Bretagne, mais plutôt un afflux ponctuel d’où la nécessité d’accueillir dans de bonnes conditions les jeunes qui viendront frapper à la porte des clubs à la rentrée. Une fois la compétition sportive achevée à l’automne, l’État est attendu sur ce qu’il laissera en héritage sportif, éducatif et sociétal durable dans l’ensemble des territoires. Tout ce qui n’aura pas été lancé avant les Jeux a peu de chances de produire des effets immédiatement après les Jeux !
L’examen de la loi « Héritage » au Parlement est prévue au mieux au début de l’année 2025 et ne produira des effets tangibles en terme de politiques publique que deux ou trois ans plus tard. Aussi, alors que le nombre de personnes âgées dépendantes va doubler d’ici 2060, il est assez surprenant de constater que dans le dernier texte de loi voté par le Parlement sur la « société du bien vieillir », il n’y a pas un mot sur l’activité physique adaptée comme outil de prévention des troubles liés à l’avancée en âge.
Outre des Jeux exemplaires, sobres, responsables et populaires, la promesse de départ était aussi d’organiser des Jeux de la Nation sur l’ensemble du territoire français, et pas seulement à Paris et en Ile-de-France. Des changements seront perceptibles en Seine-Saint-Denis qui part de loin concernant l’héritage matériel. Mais pour le moment, les collectivités des autres régions ne perçoivent pas de retombées tangibles. On est dans une logique de labellisation ou d’événementiels ponctuels (relais de la flamme, Grande Cause Nationale 2024…).
Malgré un temps d’activité physique obligatoire plus élevé que celui de leurs voisins européens, les élèves français ont une pratique sportive régulière plutôt faible. Penses-tu que Paris 2024 peut renforcer les liens entre le monde sportif et l’Education nationale, alors que le Président de la République a déclaré la pratique du sport « grande cause nationale » pour l’année 2024 ?
Avec trois heures par semaine, l’EPS représente en volume horaire théorique la troisième discipline à l’école après les mathématiques et le français. Néanmoins, dans la pratique, le temps moyen consacré à l’EPS est d’environ 1h50 et non de 3 heures.
Au sein de l’Education Nationale, l’EPS n’a jamais été considérée comme une matière fondamentale mais comme une variable d’ajustement des emplois du temps et des programmes. C’est une grave erreur. La première chose à faire est de rendre ces trois heures d’EPS effectives, sans quoi il est vain d’ajouter d’autres dispositifs « facultatifs » comme les 30 minutes d’activité physique à l’école ou les deux heures de sport de plus au collège qui s’appliquent dans quelques centaines d’établissements volontaires aujourd’hui. Les 35 000 enseignants d’EPS, ainsi que les professeurs des écoles et les enseignants en STAPS investis en outre dans le sport scolaire et universitaire ont un rôle majeur à jouer dans l’éducation à un engagement durable – la fameuse « littératie physique » – dans des activités physiques et sportives tout au long de la vie, avec des bonne habitudes dès les plus jeune âge.
Tu dresses dans « Bougeons ! » une liste de propositions très concrètes, y compris à destination des collectivités locales. Dirais-tu que ces dernières sont davantage en avance que l’Etat dans la mise en œuvre de politiques publiques visant à encourager la pratique sportive ?
Sur le plan financier mais aussi de l’innovation sur le terrain dans le domaine du sport, les collectivités territoriales ont toujours eu un train d’avance sur l’échelon étatique qui privilégie les « expérimentations » sans vraiment jamais les généraliser faute de moyens (le budget du ministère des Sports représente seulement 0,18 % du budget de la Nation !).
Le design actif qui permet l’aménagement des espaces et bâtiments publics : sentiers pédestres, parcs et aires de jeux, mais aussi cours de récréation et bâti scolaire (il faut bouger en classe !) est un excellent outil – peu onéreux – qu’il faut déployer partout dans les territoires urbains ou ruraux. L’Etat doit accompagner financièrement les collectivités qui s’engagent pour lutter contre la sédentarité sur leurs territoires – un fil rouge des politiques publiques pour l’après JOP 2024 – par la promotion de nouvelles formes de mobilité au cœur de nos territoires, le développement des mobilités actives (parcours piétons, pistes cyclables sécurisées…), des campus actifs promoteurs de santé, mais aussi des derniers cinq cents mètres ou du dernier kilomètre aux abords des écoles pour favoriser l’activité physique des Français à proximité de chez eux.
Enfin, tu es très investi dans la promotion de l’handisport. Comment juges-tu la promotion des Jeux paralympiques pour Paris 2024 ? L’Etat et les collectivités sont-ils assez impliqués dans le développement des activités sportives à destination des personnes en situation de handicap ?
Je considère que le principal héritage des JOP de Paris 2024 doit porter sur le développement des parasports : visibilité médiatique, EPS à l’école et en établissement, accessibilité des clubs sportifs dans tous les territoires…
48 % des personnes en situation de handicap ne pratiquent jamais d’activité physique et sportive… deux fois plus que dans la population générale : c’est une inégalité majeure. 430 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés, mais bien souvent dispensés d’EPS, une anomalie, alors qu’il faudrait instaurer pour tous une logique de «non contre-indication totale à la pratique sportive».
Outre l’accessibilité des transports en commun qui fera défaut pour les JOP, la question du coût des matériels sportifs -parfois plusieurs dizaines de milliers d’euros- est crucial sachant qu’un engagement pris en 2023 au plus haut sommet de l’Etat de prise en charge financière intégrale attend d’être concrétisé.
Les Départements avec la compétence « Autonomie » ont un rôle-clé à jouer dans la promotion des activités physiques adaptées en direction des publics les plus éloignés de la pratique avec la mise en œuvre d’un volet consacré à la pratique d’Activités Physiques et Sportives au projet de vie des personnes en situation de handicap.