« S’il y a une ‘touche française’, c’est au niveau du comité d’organisation avec toutes les innovations »

Journaliste sportif emblématique de L’Equipe où il officie depuis 35 ans, Marc Ventouillac couvre entre autres pour le quotidien l’aviron, l’athlétisme ou encore le biathlon. Il est par ailleurs en charge du suivi des grandes actualités liées au Comité international olympique.
Celui qui a eu le privilège de porter par deux fois la flamme olympique (la première fois en 2022 lors des Jeux d’hiver de Pékin et la seconde fois en mai dernier, en marge des Jeux de Paris), nous fait l’honneur de répondre à nos questions en tant que dernier grand témoin de notre newsletter « Lobby 2024 ».

Plusieurs de tes confrères de la presse étrangère n’ont pas manqué d’éloges autour de la réussite de Paris 2024, certains plaçant ces Jeux dans le Top 3 de l’histoire des JOP avec Sydney en 2000 et Londres en 2012. En ce qui te concerne, il s’agit de la 10ème olympiade que tu as couverte, ayant débuté avec les Jeux olympiques de Séoul en 1988. A quel niveau situerais-tu ceux de Paris ?

Le problème est d’être le plus objectif possible. Pas nécessairement évident quand les Jeux sont organisés dans son pays.

Avant Paris, j’ai toujours dit que mes Jeux olympiques préférés étaient ceux de Sydney en 2000. Outre le fait d’être parfaitement organisés, il y avait autour de ces Jeux une réelle atmosphère de fête et on sentait les Australiens, peuple naturellement sportif s’il en est, heureux d’accueillir le monde. A peu de choses près, on a retrouvé ces caractéristiques avec les Jeux de Paris, mais ceux-ci sont trop récents dans mon esprit pour que je puisse dire sans chauvinisme qu’ils ont dépassé ceux des Antipodes. Pour la troisième place, je place sans hésiter ceux de Barcelone en 1992.

Beaucoup de craintes et de polémiques entouraient l’organisation de Paris 2024. Finalement, que ce soit au niveau des transports, de la logistique, de la signalétique ou encore de la sécurité, les pouvoirs publics ont montré toute leur compétence et leur savoir-faire dans l’organisation d’évènement sportif planétaire, moins d’un an après la Coupe du Monde de rugby en France. Peut-on parler selon toi d’une « French touch » en ce qui concerne ces enjeux organisationnels ?

Non, pas vraiment. Il faut savoir que les discours qui ont été tenus avant les Jeux sont ceux qu’on retrouve dans chaque pays les mois, voir les années qui précèdent les épreuves. L’Etat et les collectivités territoriales ont fait leur boulot comme la quasi-totalité des autres pays qui ont accueilli les olympiades précédentes.

En revanche, s’il y a une « touche française », c’est au niveau du comité d’organisation avec toutes les innovations qu’il a mises en avant, à commencer bien évidemment par la cérémonie d’ouverture sur la Seine.

Selon toute vraisemblance, la France organisera en 2030 les Jeux d’hiver. Si les Jeux d’été ont été un succès, du fait du rayonnement de Paris dans le monde et la valorisation à nulle autre pareille de ses monuments et de son architecture, peut-on espérer la même chose pour les Alpes, même si par définition, plusieurs territoires seront mis à l’honneur ? Une mobilisation des territoires comme ce fut le cas pour les Jeux d’été avec « Terre de jeux » est-elle possible ?

La configuration des Jeux olympiques d’hiver 2030 n’est pas la même que pour Paris 2024. Ce n’est pas le mouvement sportif qui est à l’origine de la candidature, mais les collectivités territoriales, en l’occurrence les régions PACA et Auvergne-Rhône-Alpes. Elles ont bouclé leur dossier à la va-vite et cela se fait sentir. C’est en grande partie pour cela que l’Etat n’a toujours pas accordé sa garantie financière.

Ceci étant dit, la logique des Jeux d’hiver n’est pas la même que celle des Jeux d’été. Moins de sports, des sites à des dizaines, voire centaines de kilomètres les uns des autres, le schéma de Paris 2024 semble difficile à reproduire. Quant à mobiliser les territoires sur le modèle de la réussite de « Terre de Jeux » cela semble plus difficile, mais la structure de base existe déjà et nombre de communes ont émis le souhait de continuer à faire vivre l’esprit Paris 2024. Alors pourquoi pas ?

Il existe un consensus assez général sur la façon dont Tony Estanguet a parfaitement su mener l’organisation de Paris 2024. De son côté, Martin Fourcade – que tu connais bien pour l’avoir interviewé des dizaines de fois en tant que spécialiste du biathlon – est pressenti pour être à la manœuvre de l’organisation des Jeux d’hiver 2030. Quel est ton avis sur cette probable désignation ?

Le problème est de savoir si les politiques voudront passer la main pour la présidence du COJO. Martin Fourcade, déjà approché, s’était montré pour le moins réticent, de peur d’être réduit au rôle de président non-exécutif. J’ai souvent dit que Martin Fourcade et Tony Estanguet avaient d’énormes ressemblances et le Catalan serait l’homme idéal. Champion olympique, membre du CIO, président de la commission des athlètes de Paris 2024, il a le CV pour ça. Il lui manque le mentor que Bernard Lapasset fut pour Tony Estanguet, mais ce dernier peut bien jouer ce rôle.

On a senti un réel engouement ces derniers jours autour des Jeux paralympiques, avec des images incroyables dans les tribunes – notamment la « ola » muette pour le cécifoot. Penses-tu que le regard de l’opinion publique est en train de changer sur le handisport et de façon générale sur le handicap ?

J’espère que oui, mais je crains que non. Ou alors à la marge. Les précédents montrent que le soufflé est vite retombé. Ceci dit, depuis une vingtaine d’années, la couverture des Jeux Paralympiques n’a cessé de croitre et l’enthousiasme suscité par les épreuves a dépassé ce qu’on pouvait attendre.

Les autorités publiques ont pour ambition de placer la France dans le Top 5 des nations olympiques et paralympiques. A la lumière des résultats des JOP 2024, nous sommes bien partis pour. Quel est ton avis de journaliste sportif sur le sujet ?

Pour ce qui est des Jeux olympiques, la France a acquis sa place dans le top 5, non sans difficulté et en l’absence de la Russie. Le travail mis en place sous la houlette de Claude Onesta pour préparer ces Jeux devrait encore plus porter ses fruits pour les Jeux de Los Angeles en 2028, pour peu que les moyens dévolus par l’Etat au sport de haut niveau restent conséquents. Ce qui, malgré les promesses des politiques, reste à prouver. Les tours de vis budgétaires à venir n’incitent pas à l’optimisme. Mais sur la lancée de Paris, Los Angeles devrait voir les sportifs français briller à nouveau. La problématique est à peu près la même pour les paralympiques et leur place dans le Top 8, à la différence près qu’il faut moins de temps pour voir éclore une nouvelle génération.

Enfin, en tant que journaliste sportif quel(le) est l’image ou le moment fort que tu retiendras de cet été olympique ?

C’était lors de la cérémonie d’ouverture. Le défilé de champions qui se passaient la torche à la vitesse de l’éclair dans le jardin des Tuileries avait un côté euphorisant. Quel plaisir de voir les faces réjouies de Jean-François Lamour, Florian Rousseau, Renaud Lavillenie et de tous les autres en cette fin de cérémonie d’ouverture. On était heureux pour eux. Pour nous. Et soudain, le temps s’arrêta au moment où le feu sacré arriva entre les mains de Charles Coste, 100 ans, doyen des champions olympiques français (poursuite par équipes en 1948). Il y avait dans cette transmission une charge symbolique et émotionnelle immense. Né l’année des précédents Jeux de Paris, il était assis dans un fauteuil roulant, témoin du temps qui passe et qui nous rappelait notre condition de mortels. Quand il alluma les torches de Marie-José Perec et Teddy Riner, on sentait de part et d’autre dans ce geste puissant encore plus de solennité et de respect.